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Texte de Carlos Horcajo

Modeler la terre est l’acte premier de la plupart des récits de création. Un acte lourd de conséquences puisqu’il met au monde des créatures désemparées.


Les sculptures de Muriel Dumoulin, des corps, des bustes, des têtes, me touchent par la simplicité avec laquelle elles montrent la tragédie d’être. Ces créatures de terre ne sont ni dans la mimesis ni dans l’abstraction.


Les corps sont souvent déchirés ou se déchirent eux-mêmes ; 

les têtes sont fendues, trouées, ouvertes ; il manque parfois des morceaux. Ce n’est pas de l’inachèvement ou un pathétisme facile, mais une invitation à nous pencher au bord de l’abîme, à observer le gouffre de ces corps, de ces têtes pour découvrir le travail de leur nature, de l’énergie qui les modèle de l’intérieur.


Ces œuvres nous rappellent que la recherche de soi, de l’origine, du lieu natal, ne peut se faire que dans la violence, la déchirure du corps et de la mémoire. Il s’agit d’une quête dans laquelle nous ne sommes jamais assurés de posséder quoi que ce soit, hors peut-être, l’attente du devenir, de l’éveil.

Une façon d’être au monde qui se situe aux rives de la spiritualité.

Textes d'Annie Gabrielle Mallet

Céramiste

 

La création d’une œuvre  est l’aboutissement d’un cheminement long et complexe, fait d’expériences de vie, de techniques, de réflexions, de rencontres ; c’est une approche à pistes multiples.

La démarche est difficile ou non, tortueuse ou non, elle se perd dans des impasses ou non.

L’imagination que l’artiste déploie n’est pas le produit d’une production mentale maitrisée, mais plutôt un travail fait d’essais, de hasards, d’accidents, de ratages, de lâcher-prise.

L’artiste peut et doit se surprendre : il accueille sa production avec ses récurrences et ses émergences sans les juger ; mieux, ce monde ainsi créé, lui appartient plus parfaitement encore.

 

Muriel Dumoulin travaille dans cet esprit. Même si elle dessine, elle ne pratique pas le dessin préalable à une sculpture pour autant. Sujette au doute insidieux (autant que salvateur), elle s’oblige à modeler la terre directement pour ne pas introduire de censure qui pourrait interrompre le lien nécessairement fragile qu’elle tient avec son inspiration.

Chaque sculpture devient alors le travail préliminaire à la suivante.

 

Ainsi chemine-elle.

 

Au fil des années, Muriel continue, réitère et persiste dans l’expression de sentiments personnels, issus de sa vie propre, de son histoire intime, de son vécu particulier. Par le passé, elle a beaucoup travaillé la représentation de la colère ; mais actuellement, le regardeur perçoit dans ses personnages une suspension, une attente mélancolique, une intériorité qui le rapporte, en miroir, à sa propre perception du monde.

 

Muriel aime les objets : des objets issus du travail humain, des objets venant du monde organique. Elle les introduit dans son travail. D’abord, objet comme élément de réflexion sur la mise en valeur des pièces, stèles présentant la pièce tout en en constituant une partie inséparable, puis objet intégrant et structurant la pièce elle-même.

Actuellement Muriel travaille à une longue série de personnages, féminins le plus souvent, dont la partie inférieure est constituée d’un coquillage ou d’une corne.

Muriel sélectionne soigneusement ses coquillages en amatrice naïve, la rareté ou la préciosité du coquillage n’intervient en rien dans son choix. Elle fréquente des boutiques ou des sites spécialisés de vente pour trouver sa perle rare, celle qui fera vibrer la double corde de sa sensibilité liée à la technique : en effet, si la couleur, la brillance, les dessins de surface du coquillage sont primordiales, la forme et la taille de l’ouverture du coquillage qui accueillera le modelage comporte de mystérieux et secrets impératifs techniques.

 

Mais ce faisant, la terre nue ne lui suffit plus.

Elle considère que le décor de la surface de la sculpture exprime, par lui-même, une partie de son propos. Elle fait sienne la technique de décor traditionnelle du potier, constituée de pigments additionnés à la terre liquide déposée à cru sur la sculpture (engobes), puis après cuisson, le travail d’émaillage. Parallèlement, sur d’autres pièces, elle met au point un travail de patine à base de pigments et de cire. Ces deux différentes méthodes de décor la mènent à un identique travail de peintre. Elle utilise la rencontre de l’objet étranger avec sa technique de décor, pour donner un effet troublant d’homogénéité sur la pièce dans sa totalité : apparaissent  alors d’étranges chimères rêveuses.

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